La suspicion générale frustre les musulmans d'Allemagne
Amira est en route vers la crèche pour aller chercher sa fille lorsqu'un homme l'insulte de "salope de terroriste" et renverse la poussette. "Plusieurs personnes ont assisté à la scène de près, mais ne sont pas intervenues", décrit la trentenaire originaire de Cologne.
"L'attaque était effrayante, tout comme le fait qu'il n'y ait pas eu de courage civil". Amira est née et a grandi en Allemagne, elle est chercheuse sur le racisme, elle est sûre d'elle et porte le foulard. Depuis l'attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre, le climat est devenu rude et hostile pour de nombreuses personnes "marquées par la religion musulmane", qui sont interprétées comme musulmanes en raison de leur apparence, et qui sont par conséquent l'objet d'hostilité. Une juriste de 29 ans qui a grandi à Berlin dit de la même manière qu'elle se fait insulter, qu'elle est chahutée et qu'elle ne se sent plus en sécurité.
Le Conseil central des musulmans (ZMD) ou l'association islamique Ditib parlent de suspicion générale et déplorent les attaques contre les musulmans et les mosquées. Amira et beaucoup de ses connaissances le ressentent clairement au quotidien. "On sent un changement à charge raciste dans la société", décrit-elle. Amira est éloquente, elle écrit actuellement sa thèse de doctorat - et ces dernières semaines, elle entend régulièrement de parfaits inconnus lui dire qu'elle devrait "d'abord apprendre l'allemand" ou se conformer aux "règles allemandes". Elle a connaissance de plusieurs personnes "marquées par la religion musulmane" qui ont perdu leur emploi ces dernières semaines "parce qu'elles ont exprimé d'une manière ou d'une autre un sentiment propalestinien compatissant".
Qu'est-ce qui a changé pour les musulmans après le 7 octobre ?
De nombreux musulmans ont le sentiment que la situation qui prévalait après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis se répète désormais pour eux, explique Yasemin El-Menouar, experte en religion à la Fondation Bertelsmann. "A l'époque aussi, on avait fait pression et exigé des musulmans d'Allemagne qu'ils se positionnent". Dans l'ensemble de la population, le regard sur les musulmans se porte à nouveau par réflexe sur leurs pays d'origine présumés, comme s'ils étaient leurs représentants et quasiment coresponsables des événements et des actes qui s'y déroulent. "Je ressens une grande frustration à cet égard". Dans le conflit actuel au Proche-Orient, elle voit parmi les musulmans d'ici beaucoup de compassion et un profond attachement à la population des deux côtés.
Le chef du ZMD, Aiman Mazyek, rapporte que les enfants et les jeunes des communautés musulmanes se sentent parfois stigmatisés dans les écoles. Dans certains cas, des "tests d'opinion" ont été organisés dans les écoles. Il s'agissait d'évaluer l'attitude des élèves musulmans face au conflit du Proche-Orient et au Hamas. On essaie également de sonder l'attitude des parents - c'est inacceptable. Et il précise : "L'antisémitisme est un péché dans l'islam". 5,5 millions de musulmans vivent en Allemagne, et parmi les Länder, un nombre particulièrement élevé se trouve en Rhénanie du Nord-Westphalie.
D'où viennent de telles insinuations généralisées ?
Selon El-Menouar, il existe depuis longtemps un grand scepticisme à l'égard des musulmans et de leur religion. "L'islam est moins considéré comme une religion que comme une religion proche de l'islamisme et de la terreur. On suppose que les musulmans acceptent l'extrémisme et la terreur fondés sur la religion". Les associations islamiques ont condamné à plusieurs reprises la terreur du Hamas, se sont engagées avec véhémence pour une vie juive sûre et sont pourtant toujours mises au pilori, critique l'islamologue Jörn Thielmann. "De nombreux musulmans sont des citoyens allemands, ont grandi ici, sont allés à l'école et doivent maintenant se justifier pour quelque chose dont ils ne peuvent pas plus être responsables que le catholique Monsieur Müller ou la protestante Madame Meyer".
Quelles sont les conséquences pour la société ?
Thielmann pense qu'il est à craindre, surtout pour les jeunes musulmans, que cela ait des conséquences à long terme s'ils se sentent stigmatisés et offensés, s'ils sont étiquetés à tort "terroristes-compreneurs ou terroristes-sympathisants". Dirk Halm, du Centre d'études turques, parle d'une division de la société. Celle-ci s'exprime "par un antisémitisme de plus en plus flagrant, mais aussi par l'hostilité envers les musulmans". Le président allemand Frank-Walter Steinmeier avait récemment invité à une table ronde pour une cohabitation pacifique sans antisémitisme ni hostilité envers les musulmans.
Mazyek met en garde contre le fait que le soupçon généralisé pourrait conduire à une aliénation inquiétante, notamment chez les plus jeunes. Certains pourraient tomber dans les griffes des extrémistes. Amira décrit des "micro-agressions" à son encontre et à l'encontre de nombre de ses connaissances - des propos d'exclusion, de dévalorisation ou des bousculades. "Nous travaillons ici, nous élevons nos enfants, nous contribuons à façonner la société - et pourtant, notre appartenance est désormais de plus en plus remise en question". Et la Berlinoise de dire : "J'ai le sentiment de devoir cacher une grande partie de ce qui constitue mon identité, à savoir être palestinienne, par peur des réactions négatives et des conséquences".
Un regard différencié est exigé
El-Menouar sait que parmi les musulmans aussi, il existe des attitudes radicales et un antisémitisme lié à Israël. Mais : "Nous avons de l'antisémitisme en Allemagne, qui traverse la société et qui est aussi un problème dans la communauté musulmane. Ne cibler que ce groupe serait une erreur et conduirait à de nouvelles divisions". Certaines manifestations seraient habilement instrumentalisées par les islamistes à leurs fins. On a également entendu des slogans islamistes de la part de musulmans, les attaques du Hamas ont été saluées à haute voix, ajoute Thielmann. "Les associations islamiques en Allemagne se montrent en revanche très fermes".
Les attaques verbales, l'agressivité, le fait d'être étiqueté - cela rend morose, dit la juriste berlinoise d'origine palestinienne. L'Allemagne est sa patrie, mais : "En fait, pour la première fois, je pense sérieusement à quitter le pays et à émigrer. Et je ne suis pas la seule dans ce cas".
Source: www.dpa.com